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Cercle Jean Moulin ®

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Co-Président d'Honneur Daniel Cordier, Secrétaire Particulier de Jean Moulin, Hubert Faure, membre des 177 du Commando Kieffer, membre d'Honneur Suzanne Escoffier, petite cousine et filleule de Jean Moulin Association Mémorielle Patriotique et Républicaine. cercle.jean.moulin71@sfr.fr 07 81 34 85 48


La déportation pour motif d'homosexualité en France : Débats d'histoire et enjeux de mémoire

Publié par Cercle Jean Moulin sur 5 Février 2014, 18:35pm

Catégories : #Mémoire de la Déportation Homosexuelle

1 Issu d’un colloque organisé à Dijon en 2007 sous l’impulsion de Mickaël Bertrand, l’ouvrage constitue une mise au point sur la question de la déportation pour motif d’homosexualité en France durant la Seconde Guerre mondiale. Cette rencontre scientifique s’inscrit dans le sillage de deux autres organisées à Lyon en 2005 et Angers en 2006. L’ouvrage présente quatre contributions due...Afficher la suite
Photo : La déportation pour motif d'homosexualité en France : Débats d'histoire et enjeux de mémoire

1 Issu d’un colloque organisé à Dijon en 2007 sous l’impulsion de Mickaël Bertrand, l’ouvrage constitue une mise au point sur la question de la déportation pour motif d’homosexualité en France durant la Seconde Guerre mondiale. Cette rencontre scientifique s’inscrit dans le sillage de deux autres organisées à Lyon en 2005 et Angers en 2006. L’ouvrage présente quatre contributions dues à Mickaël Bertrand, Florence Tamagne, Arnaud Boulligny, Marc Boninchi et deux postfaces. La première est de Jean le Bitoux, fondateur de la revue Gai Pied et du Mémorial de la Déportation Homosexuelle (1989) qui, outre l’aide apportée à la rédaction de l’autobiographie de Pierre Seel (1994), a publié en 2002 Les Oubliés de la Mémoire – première synthèse sur le sujet ; la seconde postface est de Romain Chappaz, président de l’association CIGaLes, co-organisatrice de l’événement dijonnais.

2 Mickaël Bertrand considère que les connaissances apportées par ces actes constituent une « petite révolution » tant elles bousculent les représentations dominantes (p. 12). « Depuis ce colloque, nous ne pouvons plus parler impunément de déportation pour motif d’homosexualité en France sans prendre la mesure de la complexité du phénomène. Des homosexuels ont certes été déportés dans des camps de concentration mais peu l’ont été réellement pour motif d’homosexualité. Afin d’éviter les amalgames et les excès regrettables qui n’ont que trop duré, il me semble qu’il faut désormais êtres plus précis dans le vocabulaire utilisé. Un homosexuel déporté n’est pas un déporté homosexuel. Nous savons maintenant que les déportés homosexuels français sont en fait beaucoup moins nombreux que nous ne l’avions imaginé jusqu’à présent. Cela ne signifie pas pour autant que des homosexuels français n’ont pas été déportés », écrit-il (p. 18).

3 Le faible intérêt que portèrent à ce sujet, à la fois, les autorités politiques et le monde universitaire, confina celui-ci dans une négation de sa réalité historique quand, parallèlement, le mouvement associatif, s’en saisissant à des fins revendicatives, en forgeait une représentation erronée. Si l’idée d’une persécution systématique des nazis à l’encontre des homosexuels a dominé à partir des années 1970-1980, les études menées récemment tendent à corriger celle-ci. Dans le cadre français, le travail historique s’ouvre ainsi sur deux chantiers : celui de la réalité de la déportation et celui de l’histoire de l’investissement mémoriel sur le sujet de la déportation par le mouvement gay.

4 Une première contribution de Florence Tamagne replace le sujet dans le contexte européen. Elle s’intéresse tout d’abord aux modalités de contrôle de l’homosexualité dans la première moitié du XXe siècle, particulièrement sous le régime nazi, puis à la construction de la mémoire de la déportation homosexuelle durant la seconde moitié du XXe siècle dans différents pays européens. L’aspect juridique de la répression de l’homosexualité sous le régime de Vichy est éclairé par Marc Boninchi à travers notamment une présentation de la loi du 6 août 1942 qui instituait un « délit d’homosexualité » et des textes qui servirent de base à une politique répressive.

5 Arnaud Boulligny qui mène une recherche pour la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) dresse l’état actuel des connaissances pour la France. Les recherches sont menées depuis les années 1990 : « En 1997, sous la pression toujours plus forte des militants associatifs » et « afin de pacifier les tensions récurrentes qui s’exercent autour des cérémonies commémoratives » (p.13), le ministère des Anciens Combattants avait commandé une étude à la FMD dont les résultats furent rendus publics en 2001. La première recherche a été dirigée par Claude Mercier ; son rapport évoquait alors 210 hommes arrêtés et déportés1. La recherche poursuivie par Arnaud Boulligny a affiné ces données. A l’heure actuelle, le bilan s’établit à 62 hommes de nationalité française, persécutés pour motif d’homosexualité durant la Seconde Guerre en France. Parmi les 210 hommes identifiés par la première recherche en 2001, seuls 14 étaient en fait de nationalité française, les autres, de nationalité allemande, avaient été envoyés d’Allemagne au camp de Natzweiler. Pour les 62 hommes français persécutés désormais identifiés, plusieurs situations sont à considérer en fonction du statut du territoire. Les peines varient entre emprisonnement, déportation/internement dans un camp – différence provenant ici du passage d’une frontière.

6 22 hommes furent arrêtés dans les provinces annexées (Alsace, Lorraine, Moselle). Dans ces régions, la législation allemande fut appliquée : le dispositif répressif est incarné par le « § 175 » qui datait de 1871 et qui fut renforcé par les nazis en 19352. 4 de ces 22 hommes ont été emprisonnés, les autres furent internés à Natzweiler ou Schirmeck, camps situés sur le territoire annexé.

7 32 Français furent arrêtés sur le territoire du Reich : il s’agit d’hommes jeunes qui travaillaient en Allemagne, la plupart dans le cadre du STO. 30 sont condamnés à la prison en Allemagne et 2 envoyés à Natzweiler.

8 A l’heure actuelle, on recense 7 Français arrêtés sur le territoire national. Parmi ces 7 cas, si l’homosexualité est un facteur mentionné dans l’arrestation, la plupart ne fut toutefois pas déportée exclusivement pour ce motif. 6 d’entre eux sont déportés à Buchenwald et Neuengamme.

9 1 Français fut arrêté dans un lieu qui reste indéterminé et transféré à Natzweiler.

10 13 de ces 62 hommes sont morts en détention. Outre les peines de déportation, internement, emprisonnement, les nazis ont aussi « évacué » des homosexuels vers la France dite « libre ». D’une manière générale, il n’y a donc pas eu de persécution systématique. A noter qu’à ce jour, tous les dossiers de déportés ne sont pas dépouillés - 40000 des 68000 dossiers conservés au Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) ont été ouverts. De nouveaux cas sont donc susceptibles d’apparaître.

11 Mickaël Bertrand, quant à lui, à l’image du sous-titre de l’ouvrage, s’intéresse particulièrement dans l’introduction et sa propre contribution à la rencontre entre mémoire et histoire, rencontre entre l’univers militant gay et la question de la persécution durant la Seconde Guerre mondiale. Entre les années 1960 et 1990, les premières approches furent essentiellement le fait de « journalistes et de militants largement préoccupés par des questions de discrimination et de conquête de droits sociaux pour une communauté en quête d’identité fédérative » (p. 12). Leur action eut le mérite de créer le débat en produisant une représentation faussée de la déportation homosexuelle. Dans les années de l’après-guerre, dans un contexte qui restait marqué par l’homophobie, des homosexuels victimes de persécution ont préféré se taire plutôt que de réclamer une reconnaissance qui rendait publique leur préférence sexuelle. Il n’y eut ainsi que 5 demandes de titre de déporté auprès du ministère des Anciens Combattants. Toutes furent rejetées sauf celle de Pierre Seel qui a publié une autobiographie en 1994(Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Paris, Calmann Lévy).

12 De ce témoignage est née l’idée que des homosexuels alsaciens et mosellans avaient été arrêtés sur la base d’un fichier établi par les autorités françaises qui aurait été cédé à la Gestapo. Mickaël Bertrand s’est attelé à déconstruire le mythe que constitue ce fichier des homosexuels. Il s’est intéressé aux origines de cette information dans la presse militante. Une surveillance policière a bien eu lieu mais celle-ci fut ponctuelle (concernant notamment des lieux sensibles comme le port de Toulon) et ne constitua pas le support d’une traque des homosexuels.

13 Mickaël Bertrand a conscience que les conclusions de cet ouvrage « peuvent paraître à certains égard comme un revers pour les militants qui travaillent depuis des années à la reconnaissance d’une déportation homosexuelle évaluée approximativement à plusieurs milliers d’individus » (p. 23). Il souligne que la diminution des chiffres ne signifie pas une minimisation de la souffrance endurée et s’efforce d’ouvrir des axes de recherche. Retenons la voie proposée de mettre à distance la « perspective victimaire » et de « […] s’extraire maintenant de la bataille des chiffres pour s’intéresser plus sereinement à une histoire sociale et culturelle des homosexuels dans le cadre plus général de la guerre et de l’occupation » (p. 20).

Notes

1  Claude Mercier, Rapport concernant la déportation d’homosexuels à partir de la France dans les lieux de déportation nazis durant la Seconde Guerre mondiale au titre du motif d’arrestation, n°175, 15 décembre 2001. La CNIL s’était opposée à la publication des noms des personnes concernées.

2  Cette législation a survécu après la guerre : la RFA a gardé la version de 1935 jusqu’en 1969 ; la RDA revint à la version d’avant 1935 qui resta en vigueur jusqu’en 1968.

Référence électronique

Isabelle Ernot, « Mickaël Bertrand (dir.), La déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire et enjeux de mémoire, Dijon, Mémoire active, 2011, 176 p. », Genre & Histoire [En ligne], 8 | Printemps 2011, mis en ligne le 22 novembre 2011, consulté le 04 février 2014. 

source http://genrehistoire.revues.org/1267
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