Pour distraire les gardiens du camp, des matchs ont lieu chaque dimanche derrière les barbelés du quartier des officiers. Contre des amateurs ou des boxeurs déportés, des hommes encore affûtés ou de quasi-morts-vivants, sans aucune considération de poids et de catégorie, Hertzko doit vaincre, encore et toujours, au risque de mécontenter les gardiens qui parient gros. Dans les camps de la mort, le «noble art» mérite encore moins son appellation : sous les cris de nazis jamais rassasiés de violence, l'affrontement se fait jusqu'au KO, sinon jusqu'à la mort. Les gains du vainqueur ? Un sursis d'existence, doublé d'un dérisoire supplément de ration, censé récompenser et compenser la débauche d'énergie des combats.
Idéalisé par le IIIe Reich dont la propagande vante ses vertus physiques et morales, le sport, particulièrement la boxe, constitue un paradoxe dans l'univers concentrationnaire nazi : à travers de morbides compétitions, l'esprit qui anime ces corps décharnés trouve parfois la force de tenir. Mais tenir induit des effets pervers, car à cette fin il devient vital de terrasser son semblable, pour le plus grand plaisir d'un ennemi mortel. Ici, le sport n'est plus qu'un instrument de domination et de torture. Depuis le XXe siècle, la boxe représente souvent, pour ses professionnels les plus acharnés, un moyen de s'extraire d'une misérable condition. En un sens, la vie de Haft confirme ce constat de façon paroxystique : la rage qu'il éprouve face au sort réservé à des millions d'êtres humains va se transformer en volonté extrême, afin de rester debout et de ne jamais s'effondrer, sur le ring comme ailleurs.
Affecté aux crématoires, au tri des effets volés aux déportés ou au fond d'une mine, Hertzko Haft vit l'horreur