UN DOSSIER HISTOIRE DANS MARIANNE
En août 2007, le ministre danois de la Culture, Brian Mikkelson, s’est rendu en Irlande pour y
présenter la réplique d’un drakkar viking. Il en a profité pour présenter les excuses de son peuple aux Irlandais : « Au Danemark, nous ne sommes pas fiers des dommages
causés par les Vikings au peuple d’Irlande », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Mais la chaleur et l’amitié avec lesquelles vous nous accueillez aujourd’hui montrent bien
qu’heureusement, tout cela a été pardonné. » Au XXIe siècle, le représentant d’un Etat-nation offre des excuses pour des raids effectués par des guerriers du VIIIe, et se dit ravi
d’être « pardonné » par les descendants supposés des victimes de jadis. Ses hôtes ont dû en rester tout ébaubis.
Pour ridicule qu’il soit, cet épisode limite
n’en est pas moins révélateur d’une mode politico-sentimentale que Pascal Bruckner a identifiée voici près de trente ans dans un essai célèbre :Le Sanglot de l’homme blanc. Tiers
monde, culpabilité, haine de soi (1983). Etrange mode en vérité, face à laquelle l’historien se tient tout désemparé. Fondamentalement, la repentance est une posture religieuse. Le
repenti est censé éprouver un « regret douloureux … de ses fautes et de ses péchés » (Le Robert). De ses propres fautes et péchés. Par quelles voies mystérieuses en est-on
venu à exiger, et obtenir, la repentance d’individus et de collectivités pour des méfaits qu’ils n’ont point commis ? Par un curieux retour d’une société supposée « sortie de
religion » à l’injonction biblique du Dieu jaloux qui « punit la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants » (Deut. 5-9) ? La
France pourrait ainsi exiger les excuses des Italiens pour l’invasion de la Gaule par Jules César, mais elle ne manquera pas d’offrir les siennes aux Allemands pour la dévastation du
Palatinat sous Louis XIV.
Tout cela serait risible s’il n’avait pas
d’effets politiques et moraux désastreux. Lorsqu’on exige la repentance des anciennes puissances coloniales pour des crimes, réels, commis au temps des colonies, on oublie ceux, bien
réels aussi, des Etats souverains nés sur les décombres des empires. Lorsqu’on demande la repentance de l’Occident pour la traite négrière du XVIIIe siècle, on fait l’impasse sur
l’esclavage du XXIe. A force de « pendre des squelettes » d’un passé enfoui, selon la forte formule de Mona Ozouf, on ignore les corps souffrants d’aujourd’hui. L’histoire n’est
pas le grand livre du Jugement dernier. Nous ne pouvons rien pour réparer les méfaits de nos devanciers, nous n’en sommes pas coupables.
Mais nous en sommes comptables, et ce n’est pas la même chose. Si la repentance est une imposture, la reconnaissance est une obligation morale et politique. Lorsque Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs, il assume au nom de la France ce chapitre noir de l’histoire de son pays. Il fait œuvre réparatrice, non pour les juifs seulement, mai