Daniel Cordier Je ne voulais pas être un ancien combattant. En 1946, j'ai rompu avec mes amis résistants - je le regrette aujourd'hui - pour me consacrer à l'art. Il faut comprendre que je suis né en 1920, avec en héritage la guerre de 14-18. J'ai toujours entendu la phrase: «Quand tu auras combattu les boches, tu pourras parler !»
C'est en voyant ce qu'on écrivait sur Moulin que vous avez décidé de devenir historien?
C'était en 1977, après une émission qui s'intitulait «les Dossiers de l'écran». J'étais invité sur le plateau pour commenter le film. Je me suis retrouvé avec des anciens de la Résistance. Il y avait là Raymond Aubrac, André Dewavrin (alias le colonel Passy), Henri Frenay, Jean-Pierre Lévy. Je ne les avais pas vus depuis trente ans ! L'atmosphère était lourde et pas franchement cordiale. Des décennies plus tard, on retrouvait les mêmes divisions de la guerre, qui n'étaient pas digérées. J'ai contesté certains propos et on m'a renvoyé au fait que je n'étais qu'un «second couteau», un secrétaire, celui de Jean Moulin.
Vous êtes alors passé du rôle de témoin à celui d'historien?
C'est cela. J'ai retrouvé tous les documents, toutes les preuves de ce que j'expliquais sur le plateau. Henri Frenay accusait Moulin d'avoir été cryptocommuniste. En soi, ce n'était pas un drame car la Résistance était une coalition de forces politiques d'avant-guerre. Mais, surtout, c'était faux ! Et je ne voulais pas que l'on mente sur la vie de mon ancien patron. Je devais remplacer mon témoignage par des documents afin de transformer mes souvenirs en Histoire.
J'ai ainsi découvert une partie de l'existence de Moulin que j'ignorais, notamment la manière dont il avait vécu la défaite de la France en 1940. J'ai consacré trente ans de ma vie à un travail auquel rien ne m'avait préparé. J'ai donc dû construire mes propres outils d'historien et apprendre des méthodes que j'ignorais jusqu'alo