Mais parce qu'elle a donné lieu à tellement d'exégèses au fil des années, y compris les plus fumeuses — attestant par exemple qu'une oeuvre écrite par un auteur juif était forcément une oeuvre communautaire, ce dont se défend farouchement Art Spiegelman —, qu'elle méritait que son auteur livre enfin les clés de ses nuits et brouillards créatifs.
Car Maus est plus qu'une simple BD, plus qu'un manifeste contre l'oubli. Tout à la fois oeuvre d'art, récit historique, documentaire sur les persécutions nazies à la manière de Shoah, de Claude Lanzmann, et catharsis d'un fils de survivants au traumatisme central du XXe siècle, Maus avec ses souris juives persécutées par des chats nazis, démontre en premier lieu le difficile travail de la récupération de la mémoire, de la formation même de la mémoire à travers un récit polyphonique, celui d'un fils et d'un père qui n'auront eu comme seul terrain d'entente que ce douloureux travail de treize années.
« Curieusement, explique Art Spiegelman, sacré Grand Prix de la ville d'Angoulême en 2011 et président du 39e Festival international de la bande dessinée, qui se déroulera du 26 au 29 janvier dans la cité charentaise, les atrocités du XXe siècle sont devenues un refuge où nous pouvions éviter de nous faire la guerre. » Vladek, le père, blessé à vie par la déportation, rejetait son fils ; la mère, Anja, elle aussi rescapée des camps de la mort, n'y survivra pas pour autant, elle se suicidera en 1968 ; et Art, le fils, exorcisera ce terrible passé, en tentant de se construire à l'ombre de ces fantômes.
Maus a été consacré en 1992 — fait unique en BD, tenue pour un genre mineur — par le prestigieux prix Pulitzer, a été traduit dans plus de 20 langues, a rencontré des dizaines de millions de lecteurs, a fait l'objet de symposiums et de conférences dans le monde entier, et continue de poursuivre son créateur, trente-trois ans après ses premiers coups de crayon.
DESCENTE AUX ENFERS
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