http://revolution-francaise.net/2013/01/21/514-la-revolution-francaise-et-ses-categories-historiographqiues
UMR Triangle, ENS/Université de Lyon
A propos de Jean-Clément Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, Paris, Perrin, 2012, 630 pages.
L'historien Jean-Clément Martin, ancien directeur de l'Institut d'Histoire de la Révolution Française, nous propose présentement un ouvrage tout à la fois passionnant, érudit et problématisé. Il s'agit principalement de faire un récit politique des événements, sans en revenir à l'histoire positiviste d'autrefois, ou de tomber sous la dépendance d'une histoire de la pensée politique d'aujourd'hui dont il importe cependant d'évaluer les acquis récents. Tout l'enjeu porte sur la portée opératoire ou non des catégories historiographiques déployées, depuis Jules Michelet jusqu'à Michel Vovelle, dans les Histoires de la Révolution française au regard des modalités politiques de l'entrée en lutte des révolutionnaires. Jean-Clément Martin fait alors preuve du souci constant de ne pas faire correspondre de manière univoque telle catégorie généralisante avec tel référent dans la réalité. Il considère donc le processus d'invention de la politique en révolution au titre d'une dynamique révolutionnaire de mieux en mieux connue depuis les travaux nombreux et divers de ces trente dernières années, comme en témoigne l'imposante bibliographie en fin de volume (pages 585-623). Il s'agit bien de mettre en avant le processus d'invention politique lui-même en déployant progressivement les multiples formes attestées de l'expérimentation révolutionnaire.
Quatre temps distincts de la révolution font scansion et rythment alors les chapitres de son
ouvrage : - en premier lieu, le temps de la pré-révolution des années 1770-1780, qualifié ici plutôt de "Révolution par le haut" par le fait de l'héritage des révolutions atlantiques
centré sur l'avènement de l'individu et de ses droits ; - en seconde lieu, la première Révolution française des années 1789-1791 construite autour de la recherche d'un impossible consensus
national ; - en troisième lieu, la seconde Révolution des années 1792-1794 avec l'avènement d'un Etat légitime dans un contexte de violence, voire de terreur, sans qu'il s'agisse d'un
système ; - enfin en quatrième lieu, les cinq années du temps de la stabilisation (1795-1800) qui vident progressivement l'événement révolutionnaire de ses contenus en détruisant les
valeurs essentielles de la Révolution et ses attentes les plus fortes au profit d'un Etat centralisé et non-démocratique.
D'un point de vue méthodologique, Jean-Clément Martin souhaite promouvoir une écriture de l'histoire
qui ne s'aligne ni sur des modalités jugées fixes et généralisantes de la pensée politique d'une part, ni sur des catégories historiographiques souvent réduites à la désignation d'acteurs
collectifs d'une histoire fortement globalisante d'autre part. Si les catégories historiographiques sont incontournables pour l'historien, elles sont souvent hésitantes face à l'interprétation
des événements. S'ils importent de les prendre en compte, c'est donc avec précaution dans la mesure où elles désignent souvent le réel de manière unilatérale. De même, s'il est essentiel de
comprendre de façon toujours plus précise les analyses des principaux acteurs de la pensée politique, de Mirabeau à Robespierre - à ce titre, l'histoire de la pensée politique est
incontournable jusque dans ses recoins les plus complexes, à l'exemple de Sieyès - ces acteurs donnent sens à leurs inventions conceptuelles par le fait de la conjonctions des événements. La
question de la temporalité, dont l'historien Reinhard Koselleck a fait le centre de son œuvre, s'avère alors décisive dans cette Nouvelle Histoire de la Révolution française.
A prendre en compte le nouveau "régime d'historicité" (R. Koselleck) qui s'instaure au XVIIIème siècle,
tout particulièrement sur la base du modèle des révolutions anglaise et américaines, l'expérimentation des changements historiques s'inscrit dans des attentes spécifiques, formulées tout
particulièrement par le biais de Déclarations des droits de l'homme et du citoyen. La culture de la Révolution, étroitement associée au pouvoir de l'opinion, existe donc avant la Révolution
française. Cependant, elle prend plus l'allure d'un phénomène de transition, donc d'une quête de régénération que d'un processus révolutionnaire, par le fait qu'elle procède surtout de
changements par le haut, même si la présence des mouvements populaires est centralement attestée. A réfléchir ainsi sur la question de la transition, les années 1770-1780 en France introduisent
toutes sortes d'éléments processuels spécifiques: la déchéance du cor