Amnésie, Yan M’Hoax(1), Gravet(2)
L’autofiction a ouvert la voie à toutes les falsifications insupportables : celles de son propre passé, celui d’un individu existant déjà avant de devenir connu pour sa plume, son bagout ou grâce aux plateaux où il apparaît. Devenir chroniqueur, auteur recevant des prix et donnant son avis sur tout ou rien, met l’impétrant qui piaffait d’en arriver là dans une posture médiatique plus que dans une cohérence personnelle. Être lauréat et romancier « grassement » rémunéré met à l’abri du besoin mais pas de la vérité. Comme des cailloux dans un labour, les faits remontent à la surface avec le temps. En 1943, à Treblinka, « le sang repoussait la terre (…). Le sang des dizaines de milliers de victimes ne peut reposer en paix. Il remonte à la surface », malgré tout le sable déversé sur le charnier pour effacer les traces. C’est ce que témoigna l’un des rares survivants, Chil Rajchman, dans Je suis le dernier Juif. Les idéologies fascistes se sont toutes inventé un passé mythique autant qu’une actualité mensongère ou bien ont tenté d’effacer leurs antécédents gênants. Le négationnisme trompe l’Histoire en la réécrivant à sa sauce et surtout en tentant d’effacer l’ignominie et la monstruosité. Est-ce que mentir sur les plateaux télé ou sur les ondes a peu de conséquences ? Heureusement la presse écrite (L’Express, Le Canard…) respecte un lecteur, pour qui l’esbroufe n’est pas souhaitée, et n’a pas lâché prise. Quand à la Toile, elle n’est nette en rien dans sa diffusion des mensonges puis dans leurs prétendus effacements.
L’« auteur à succès », celui qui veut diffuser à tout prix, réussir en « vendant père et mère », voire le frère si besoin, être invité comme dans un casting humoristique en se prenant au sérieux, être grave et passer légèrement sur des énormités graves et « grasses », celui-là lisse à l’envi son passé hérissé de négationniste pour s’habiller en victime, de pauvre petit maltraité, reconnaît ses ignobles dessins mais pas ses propres écrits d’il y a vingt ans, puis au mieux s’excusera lui-même car demander des excuses (à qui ?) n’assure pas d’en obtenir. Quant au simulacre de pardon donné par BHL (« Je crois en la rédemption »), il interroge : assistons-nous à un facho qui a son bon Juif ou à un chroniqueur mondain qui protège son bon révisionniste soi-disant repenti ? Aux dernières nouvelles, l’éditeur a tout arrangé, mais a retiré des librairies le dernier roman de l’amnésique.
Un auteur peut se mentir ou mentir sur lui-même. L’exercice n’est pas nouveau. L’arriviste se distinguera par ses acrobaties dans le ripolinage de son itinéraire afin de le lisser en vue d’une carrière. Mais une société oublieuse de son passé se condamne à n’avoir aucun avenir.
Robert Sebbag
(1) Hoax : (mot anglais), mystification, supercherie, mensonge, etc.
(2) Qu’un éditeur connu en arrive à couvrir tout ça, c’est grave pour toute la profession.
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