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Cercle Jean Moulin ®

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Co-Président d'Honneur Daniel Cordier, Secrétaire Particulier de Jean Moulin, Hubert Faure, membre des 177 du Commando Kieffer, membre d'Honneur Suzanne Escoffier, petite cousine et filleule de Jean Moulin Association Mémorielle Patriotique et Républicaine. cercle.jean.moulin71@sfr.fr 07 81 34 85 48


Tant que nous parlerons d'eux, les héros resteront vivants ! par Daniel Cordier

Publié par Cercle Jean Moulin sur 28 Août 2014, 20:53pm

Catégories : #Jean Moulin, #Daniel Cordier

Histoire et Devoir de Mémoire - Résistance et Déportation avec Olivier Sauvage

Daniel Cordier : “Je dois à Jean Moulin ce que je suis devenu. C'est pour ça qu'il est, aujourd'hui encore, à l'intérieur de ma vie.”

Jean Moulin fit de ce royaliste antisémite un fervent républicain. A 92 ans, cet amateur d'art devenu historien, ravive la mémoire de son mentor.

Il lui est fidèle depuis soixante-dix ans. Depuis ce jour de juillet 1942 où Jean Moulin, chargé par le général de Gaulle d'unifier les mouvements de la Résistance, l'a recruté à Lyon pour devenir son secrétaire. Par la suite, Daniel Cordier a réalisé le rêve de celui qu'il continue d'appeler « le patron » : devenir peintre. Comme lui, il a aussi constitué une importante collection d'art (donnée au musée national d'Art moderne) et dirigé une galerie (1956-1964) où il a exposé des artistes tel Robert Rauschenberg, alors inconnu en France. Enfin, lorsque Moulin a été attaqué par Henri Frenay, ancien chef de la Résistance, en 1977, Cordier s'est mué en historien pour défendre sa mémoire.

Ce n'est pourtant pas à Jean Moulin que Daniel Cordier ressemble le plus. Plutôt à ces artistes singuliers, dits outsiders, pour certains issus de l'art brut, qu'il a passionnément défendus. Lui aussi est à part. Monarchiste et antisémite en 1940, il est devenu un homme de gauche, profondément républicain, au contact de son mentor. Il a raconté cette métamorphose dans l'envoûtant Alias Caracalla, aujourd'hui adapté à la télévision et complété par un livre tout aussi passionnant, De l'Histoire à l'histoire. A 92 ans, plus élégant que jamais, Daniel Cordier n'a rien perdu de sa générosité, ni de son sens de l'autodérision, pour raviver la mémoire de Jean Moulin.

Est-ce pour continuer à dialoguer avec Jean Moulin que vous êtes venu à l'art ?
C'est effectivement lui qui m'a initié à la peinture. J'ai été parachuté de Londres fin juillet 1942 pour servir de radio à Georges Bidault [homme politique français et résistant, NDLR]. Mais Moulin, que j'ai rencontré dès mon arrivée, a préféré me garder auprès de lui. Depuis six mois qu'il était à Lyon, il devait se débrouiller seul. Ça en dit long sur l'état de la Résistance... Comme il vivait avec de faux papiers le disant artiste peintre, il m'avait d'emblée prévenu que cela l'amènerait à me parler d'art dans la rue ou au restaurant, pour ne pas éveiller les soupçons sur nos activités. Alors, de temps en temps, il changeait brusquement de conversation et commençait à évoquer le travail de Manet, Renoir, Cézanne ou Kandinsky, dont il m'avait emmené voir une exposition à Paris. J'avais trouvé ça épouvantable. A l'époque, je ne comprenais rien de ce qu'il me racontait.

“Face aux tableaux de Velázquez,
j'ai compris qu'il m'avait manqué
quelque chose depuis l'enfance.”

Quand ses discours sur l'art ont-ils commencé à faire sens ?
Je voulais retourner à Londres, en mars 1944, en passant clandestinement par les Pyrénées. Entré illégalement en Espagne, j'ai été en effet emprisonné puis interné dans un camp. Lorsque mes camarades et moi avons été libérés, nous avons filé à Madrid. Eux sont allés au bordel, moi au Prado parce que Jean Moulin m'avait dit qu'après la guerre nous irions le visiter ensemble. Ça ne m'intéressait absolument pas, mais je m'y suis rendu en souvenir de lui, et aussi pour voir un vrai tableau dans un vrai musée, ce que je n'avais encore jamais fait. Je vous laisse imaginer le choc devant la première œuvre : Le Jardin des délices, de Jérôme Bosch. Surtout qu'à l'époque les musées étaient vides. Nous ne devions pas être plus de quatre visiteurs. Quant aux gardiens, ils dormaient sur leur chaise. Que pouvaient-ils faire d'autre : il n'y avait personne à regarder. Face aux tableaux de Velázquez ou du Greco, dans ce silence plein de bruits et d'émotions, j'ai compris qu'il m'avait manqué quelque chose depuis l'enfance. Ce quelque chose dont Jean Moulin m'avait parlé.

Lors de votre rencontre, n'aviez-vous pas une vision de la France radicalement différente ?
Tout nous séparait. Jean Moulin était viscéralement républicain et démocrate. Moi je suis issu de la vieille bourgeoisie bordelaise par ma mère. Mon père, par contre, était considéré com­me un nouveau riche. Après leur divorce, ma mère a rencontré mon futur beau-père, Cordier. Il avait été gazé à Verdun, était royaliste et antisémite. Et moi, j'avais une admiration sans limites pour lui. Alors j'ai épousé son antisémitisme et je suis devenu passionnément monarchiste, fondant le cercle Charles Maurras à Bordeaux, vendant son journal — L'Action française — à la criée, militant contre la République, qu'on appelait à l'époque « La gueuse ».

Le 17 juin 1940, lorsque j'ai entendu le discours de Pétain annonçant qu'il fallait cesser le combat, j'ai quitté la France pour poursuivre la guerre. J'étais persuadé de trouver Maurras à Londres alors qu'il était resté soutenir Pétain. Quand je pense que j'ai raconté toutes ces horreurs à Jean Moulin le jour où je l'ai rencontré ! Mais lui était un authentique résistant : ce qui comptait, c'était la lutte contre l'occupant. Et comme nous n'étions pas si nombreux à nous engager aux côtés de De Gaulle, il fallait prendre tout le monde. Même des garçons comme moi. N'oubliez pas que nous étions à peine trois mille à ses côtés après la signature de l'armistice. Une armée de gamins pour la plupart. Je n'avais pas 20 ans et je devais être l'un des plus âgés. Au fil de ces quatre années de guerre, j'ai changé, passant de l'extrême droite à la gauche républicaine.

Quel genre d'homme était Jean Moulin ?
Un homme à la fois catégorique et gentil. Dans le travail, il était implacable. Si jamais je lui faisais part de mes difficultés à trouver une secrétaire ou un courrier, il me répondait : « Ça c'est votre problème, je ne veux pas le savoir. » Mais quand il avait fini de me donner la liste des rendez-vous à prendre, les lettres à porter à un résistant ou les télégrammes à coder pour Londres, on sortait ou on se retrouvait pour dîner. Là c'était un autre homme, charmant, très drôle. Il ne pouvait parler à personne de ses activités de résistant. J'étais juste le témoin de l'état dans lequel il se trouvait. Comme c'était un méridional, il pouvait lui arriver d'exploser, surtout après ses rencontres avec les chefs de réseau. Il y a une scène, à la fin du premier épisode d'Alias Caracalla, qui montre bien le type de rapports que nous avions. Nous descendons l'escalier. Lui est hors de lui et, moi, je le suis derrière en silence. Parce qu'à mes yeux, Jean Moulin, c'est d'abord le patron. Je lui dois ce que je suis devenu. C'est pour ça qu'il est, aujourd'hui encore, à l'intérieur de ma vie.

Vous souvenez-vous d'une conversation en particulier ?
C'était au lendemain des grandes rafles de Juifs dans la zone sud, en août 1942... Pendant deux ou trois dîners de suite, Jean Moulin et Georges Bidault n'ont parlé que de ça. Bidault voulait que la Résistance intervienne pour empêcher les déportations. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais avec des gens qui défendaient les Juifs. Et moi, l'antisémite, je pensais : « On perd notre temps, les Juifs ne sont pas résistants et on ne va pas les recruter. » J'avais encore tant d'heures de travail devant moi : je codais les télégrammes pour Londres la nuit et, chaque matin, je devais me réveiller à 6 heures pour être à 7 heures chez le patron. Si vous saviez comme j'ai honte de ces pensées aujourd'hui.

“Nos instructeurs londoniens
ne nous ont jamais réellement parlé
de la Résistance en France.”

Vos récits tranchent avec l'épopée héroïque des résistants.
J'ai raconté ce que j'ai vu et ce que j'ai vécu. D'abord, il faut rappeler les chif­fres. A la Libération, les communistes ont parlé d'un million de résistants. Aujourd'hui on s'accorde à dire qu'il y en a eu 240 000 ; 100 000 ont été arrêtés, 30 000 à 40 000 sont morts. A Londres, pendant les deux années qui ont précédé mon parachutage, j'avais appris à manier le couteau, à faire dérailler des locomotives. Mais nos instructeurs londoniens ne nous ont jamais réellement parlé de la Résistance en France. Je croyais donc qu'elle s'était mise en place dès juin 1940 et que j'allais travailler avec des militaires en civil à qui on parachutait des armes et des explosifs pour tout faire sauter. N'oubliez pas que je m'étais engagé pour tuer des « Boches ». Au lieu de ça, je me suis retrouvé à envoyer des télégrammes, à distribuer des sous aux mouvements de résistance, et à assister à des réunions sans fin au cours desquelles les chefs de réseau se battaient pour l'argent et le pouvoir. C'était pratiquement la seule chose qui les intéressait.

Pourquoi détestaient-ils autant Jean Moulin ?
Moulin était un homme d'autorité et il voulait imposer de Gaulle comme chef. Il était préfet avant guerre. Et le travail d'un préfet, c'est d'imposer la République. Or la République, c'était de Gaulle. A la Libération, ce dernier a cherché à réunir tout le monde. Que pouvait-il faire d'autre ? Le plus terrible, c'est de constater que de tous les préfets de France, un seulement l'avait rallié à Londres.

Est-ce l'art qui vous a aidé à vous réadapter à la vie à la Libération ?
Oui. Si moi j'avais changé, mes parents non. Je n'ai jamais pu dire à ma mère ce que j'avais fait entre 1940 et 1944. Elle et mon beau-père avaient soutenu Pétain, ils étaient toujours royalistes et antisémites. A ce moment-là, j'avais aussi choisi de rompre avec mes camarades de guerre. Non seulement je ne voulais pas jouer les anciens combattants — ma génération a trop souffert de ceux de 14-18 — mais, pour moi, la guerre c'était tuer des « Boches », or je vivais mal de n'en avoir descendu aucun. Alors, oui, l'art m'a aidé. Peu après la Libération, j'ai hérité de mon père, mort en 1943, et de mes grands-parents. De quoi me donner les moyens de ma liberté : avec cet argent, j'ai commencé ma collection de tableaux en 1946. A Paris, j'habitais à quelques pas de la galerie Jeanne Bucher. Dans son grenier, il y avait des Braque, des Kandinsky, des Picasso. Tous ces artistes dont m'avait parlé Moulin. C'est comme ça que j'ai découvert l'art moderne. Jeanne Bucher m'a aussi emmené visiter l'atelier de notre voisin, Nicolas de Staël. Le problème, c'est que je ne peux pas me contenter d'un tableau. Il m'en faut plusieurs. De Staël, par exemple, j'en ai acheté quinze d'un coup. En 1946, je me suis aussi inscrit à l'académie de la Grande Chaumière. Je me voyais peintre. Mais s'il y a un homme qui n'est pas fait pour ça, c'est bien moi : j'ai un trait mort.

Pourquoi avez-vous ouvert une galerie ?
Au bout de dix ans, il ne me restait plus un centime de mon héritage. Alors j'ai demandé à l'un de mes amis de me trouver une place d'huissier. Il a éclaté de rire et m'a dit : « Je te prête un million de francs si tu veux, mais pour que tu deviennes marchand de tableaux. » Ma galerie mit la clé sous la porte en 1964 pour des raisons économiques, mais aussi parce que, artistiquement, Paris s'était fait devancer par les Etats-Unis. D'ailleurs, les galeries comme la mienne faisaient leur chiffre d'affaires entre mai et septembre, lorsque les Américains venaient en vacances en France. Une fois libéré de mon activité de galeriste, je me suis consacré à l'organisation de grandes expositions.

Avez-vous rencontré un artiste à la personnalité aussi impressionnante que celle de Jean Moulin ?
Jean Dubuffet. Un peintre immense, qui m'a ouvert les portes de l'art brut. Quelqu'un d'extrêmement cultivé aussi, du point de vue de la peinture et de la littérature. Pourtant, il n'avait pas de bibliothèque : dès qu'il terminait un livre, il le jetait ou le donnait. On a fini par se brouiller parce qu'il se brouillait avec tout le monde. Dubuffet était brutal.

Comment êtes-vous devenu historien ?
En 1977, j'ai été invité à participer à une émission télévisée avec d'anciens résistants, dont Henri Frenay, le chef du réseau Combat. Ce soir-là, il a accusé Moulin d'être « cryptocommuniste ». Je suis resté sans voix, incapable de le défendre. Comment aurais-je pu, d'ailleurs ? La guerre était finie et j'avais tourné la page. Je n'avais même pas lu les Mémoires du général de Gaulle. Quelle humiliation ! Moulin m'avait tout appris. Il avait fait de moi un homme, un Républicain. Il m'avait donné ma raison de vivre : la liberté. Et la liberté, c'est la République. Alors j'ai écrit un premier texte de deux cents pages dans lequel je répondais aux insultes de Frenay par l'insulte. Ça n'avait aucun intérêt. En le relisant, j'ai compris qu'il me fallait apporter la preuve de ce que je disais. Le seul moyen de le faire, c'était de retrouver les documents historiques. Quand le livre est sorti, les anciens résistants me l'ont bien fait payer. J'étais à leurs yeux le courrier de Moulin. Donc rien. Et j'avais osé mettre en doute certains de leurs témoignages.

“Nous n'avons pour l'instant
qu'une moitié d'Europe.
Il lui manque l'essentiel : son âme.”

Vous avez des mots très durs contre la France d'aujourd'hui.
La France est morte le 17 juin 1940 lorsque Pétain a demandé l'armistice aux Allemands. Depuis, le pays n'a pas cessé de décliner. Son discours montre la réalité de l'époque : personne ne voulait se battre. Je l'ai bien vu en 1942, avec deux copains de l'Action française que j'avais pensé recruter pour la Résistance. Le premier s'occupait de la propagande de Vichy pour la région de Toulouse. L'autre finissait son temps militaire dans la police. Aucun n'avait envie de combattre pour la liberté. Lorsque les camarades qui avaient été déportés sont revenus des camps, je suis devenu européen et mondialiste. Je le suis toujours aujourd'hui. Mais nous n'avons pour l'instant qu'une moitié d'Europe. Il lui manque l'essentiel : son âme. Chaque pays est resté sur ses positions. Certes, on a une monnaie commune. Mais, à mes yeux, l'Europe c'est un seul pays, un seul gouvernement.

Vous avez révélé votre homosexualité en 2009. Comment réagissez-vous à la violence du débat sur le mariage pour tous ?
Je suis pour la liberté d'opinion. En ce qui me concerne, je ne me marierais pour rien au monde, je dois être trop vieux pour ça. Mais si deux hommes en ont envie, il faut qu'ils puissent le faire. Le sexe, c'est notre élément de liberté. Or il n'y a que quatorze pays sur près de deux cents dans le monde qui autorisent le mariage pour tous. C'est ça la liberté ? Cela dit, on vient de loin. Quand j'étais enfant, dans les années 1930, les « pédés » on en parlait très peu. Il y avait Gide et Cocteau, qu'on considérait comme des extravagants. Sinon ça n'existait pas.

Vous avez de la tendresse pour le jeune Daniel ?
Je ne sais pas. C'est un fou, ce qui est plutôt sympathique. Mais j'espère vraiment avoir changé.

source telerama.fr

El Che

 

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